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Élise Depecker (Atis) : « Dans l'ESS, il y a une tension permanente entre l'objectif sociétal et la rentabilité »

Stratégie
lundi 20 février 2023

Elise Depecker, directrice d'Atis. Crédits : Atis

À quelles difficultés sont confrontés les acteurs de l’économie sociale et solidaire ? De quels outils peuvent-ils s’emparer, pour concilier les enjeux sociétaux et une rentabilité parfois difficilement atteignable ? Pour Placéco, Élise Depecker, directrice de l’association néoaquitaine Atis, (association territoires et innovation sociale), livre quelques éléments de réponse.

Depuis 13 ans, Atis accompagne l’innovation sociale en Nouvelle-Aquitaine. Quels sont vos critères pour sélectionner les porteurs de projets ?
Notre premier critère, c’est que le porteur de projet doit apporter une réponse à une problématique de société - sociale ou environnementale -, distinctement nouvelle par rapport à celles existant déjà. C’est aussi la capacité de l’entrepreneur à développer un modèle économique pérenne, avec un objectif de créer de l’emploi au-delà du sien. Ensuite, nous avons lancé notre incubateur en 2014, mais nous avons aussi depuis notre origine, un générateur de projets inversé baptisé la fabrique à initiatives. Là, ce ne sont pas les entrepreneurs mais les territoires que nous accompagnons, pour qu’ils s’engagent dans une démarche d’innovation sociale. On essaye de répondre à des défis sociétaux non couverts sur un territoire, et on engage des parties prenantes dans l’émergence de solutions. C’est ce qu’on a fait dernièrement avec la ManuCo, dans le quartier des Capucins, à Bordeaux. On a eu une occasion - un lieu vide -, et InCité nous a sollicité pour réfléchir à ce qu’on pouvait intégrer dedans.

Les entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire sont-ils confrontés à des problématiques inhérentes à ce pan de l’économie ?
D’abord, il faut souligner que les projets de l’ESS qui se développent sur notre territoire connaissent un problème d’accès au foncier, donc qui ont recours à des occupations transitoires. C’est un phénomène en fort développement dans le parcours foncier. Ensuite, il peut y avoir des difficultés sur les modèles économiques des projets, souvent hybrides. Il y a une tension permanente entre l’objectif sociétal que se fixent les entrepreneurs - réussir à intégrer des personnes en difficulté, par exemple -, et la contrainte d’avoir un modèle économique à l’équilibre. Souvent pour atteindre la pérennité, il faut jouer sur des leviers de développement, et c’est la façon de les actionner qui peut être complexe.

Une raréfaction des ressources publiques

Quels sont ces leviers à actionner ?
Il y a d’abord la multiplication de l’origine des ressources - publiques, privées. Ensuite, il y a des stratégies d’alliance à mettre en place. De mutualisation des locaux, des emplois partager pour jouer sur les charges, mais aussi la multiplication des formes juridiques par exemple. Avec une association pour garantir l’intérêt général, qui aura recours aux dons, et loger les activités marchandes dans une société commerciale qui aura une plus grande rentabilité. Également, je constate une tendance de fond : les porteurs de projets de l’ESS ont mieux travaillé leurs alliances avec les entreprises dites classiques, pour nouer des partenariats privés.

Certains détracteurs peuvent évoquer une économie « sous perfusion », difficilement rentable, en parlant de l'ESS…
Depuis trois ans, je me demande qui a été sous perfusion ! Plus sérieusement, lorsque le Conseil départemental de Gironde porte une politique favorable à l’accès à une alimentation saine pour les populations les plus vulnérables, il a recours à des acteurs - publics ou privés - qui l’aident à remplir cette mission. À ce titre, il y a de l’argent public qui est versé à la structure, parfois sous forme de subventions, parfois via des marchés publics. Comme Bordeaux Métropole peut déléguer pour partie la mission de service public pour la gestion des déchets à Veolia, pour moi, c’est la même chose. Ensuite, le secteur de l’ESS est aidé car ses acteurs font l’effort de travailler sur des enjeux moins rentables que les entreprises classiques. Nous, chez Atis, ce qu’on transmet, c’est faire tenir un modèle économique dans la durée et à ce titre, le taux de pérennité des structures que l’on accompagne - dont deux tiers d'associations - est, à trois ans, de 84%. Mais on assiste à une raréfaction des ressources publiques, et cela impacte les modèles économiques des projets.

Est-il plus difficile pour des entreprises de l’ESS, d’aller chercher des investisseurs privés ?
Oui, c’est certain. Et en même temps, aujourd’hui, on voit se développer de plus en plus de fonds dans la finance solidaire et à impact, il y a des financements rendus possibles par des investissements citoyens aussi. Après, sur des projets très innovants, on arrive à trouver et à lever des fonds en offrant, certes, une rentabilité plus long qu’une startup dans le domaine de la tech, par exemple.